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SERENDIPITY

Old man* : sur Les Arpenteurs de Kim Zupan - une lecture critique de Stéphane

18 Février 2015, 10:46am

Publié par Seren Dipity

Le roman aurait pu être publié dans la Noire, mais c'est la collection Nature writing qui accueille  le premier roman de Kim Zupan. Les éditions Gallmeister ont trouvé un auteur qui sied à tous leurs plaisirs.**

Ca débute comme ça :

"A l'automne de cette année-là, le garçon descendit du bus au bout de la route sèche, la haie de buissons vrombissant du crissement des sauterelles affolées qui bondissaient à son passage depuis les hautes herbes et le feuillage pâle et poussiéreux des oliviers de Bohême, se heurtaient à son pantalon et se précipitaient contre les pans de sa chemise."

La première scène du roman est un choc pour le lecteur. Pour le jeune futur flic,  c'est le choc originel : il découvre sa mère pendue.

Passé ce prologue, nous sommes plongés au coeur du roman, avec l'un des derniers coups d'un vieux tueur. "L'homme le plus âgé, qui répondait au nom de John Gload, se pencha pour attraper un sac de grains contenant les mains et la tête coupée du jeune qu'ils venaient d'ensevelir dans la terre fine et stérile des Missouri River Breaks. Des ossements anonymes, à présent, parmi tant d'autres - la sombre signature de John Gload sur le paysage, sur cette planète."

John Gload a soixante-dix-sept ans lorsqu'il est arrêté. Il attend patiemment les forces de l'ordre sur sa véranda. Plus tard, même enfermé, "l'ogre" reste une menace terrifiante.

"Ne vous laissez pas berner par son sourire, Val, ni par son âge avancé. Vous avez vu ses mains. Il pourrait presser la sève d'une bûche."

L'adjoint du shérif, Val Millimaki est chargé de surveiller les prisonniers la nuit.

"Millimaki ne parvint pas vraiment à s'accoutumer à cet endroit tant, pendant ces huit ou dix heures de service, sa vie ressemblait à celle des prisonniers dans leurs cages."

Quand il n'est pas de garde, il hante les étendues du Montana, à la recherche des personnes égarées ou disparues. Qu'il retrouve souvent mortes.

"Mais il préférait le travail sur le terrain, au grand air, avec son chien de berger de trois ans, à pister les disparus dans la forêt, la broussaille, les canyons abrupts, des terres vierges, ces coins oubliés ou non référencés sur les cartes qui ne donnaient qu'une vague approximation de notre place en ce monde."

Arpenter le Montana de long en large est sans doute ce qui rapproche le plus Val Millimaki de John Gload... C'est ce lien si puissant avec cette terre, et la bonté que Gload perçoit en Millimaki, qui permet à l'étrange relation de naître entre les deux hommes séparés par une grille. Au fil des nuits de veille, qui se prolongent par des insomnies diurnes destructrices pour Millimaki et son couple, il écoute les confessions terribles de John Gload.

"Gload s'était encore avancé sur sa chaise et il était positionné à moitié dans la lumière, à moitié dans l'obscurité, comme s'il avait été coupé en deux et exposé là, la tête et les épaules d'un criminel empaillé, un trophée présenté aux touristes et aux enfants dans un diorama de l'univers carcéral : une table, une chaise, une couchette. Un tueur."

Malgré ses crimes depuis 64 ans, Gload est capable de se montrer aimable et plutôt chaleureux. Et quand il raconte un crime qu'il n'a pas commis (tuer les pensionnaires grabataires d'un hospice -pour abréger leur déchéance) il précise à Val que cela aurait été pour lui un "acte de bonté". Il veut que Val sache "comment fonctionne le monde." 

Ponctué de passages magnifiques où la dureté du climat du Montana n'a d'égal que la beauté de ses paysages, Les Arpenteurs offre un portrait saisissant du Bien et du Mal, loin de tout manichéisme simpliste. Kim Zupan, dont c'est le premier roman, écrit l'expérience de la mort en alternant les destins de deux personnages particulièrement forts. La langue oscille entre le lyrisme poétique conjuré par le paysage battu par les intempéries et la brutalité sèche, celle des hommes.

Noir comme une nuit sans lune, Les Arpenteurs séduit et tourmente son lecteur comme un crépuscule. SPLENDIDE !

 

Signé Stéphane

Traduction de Laura Derajinski, voir ICI. Et sur le blog serendipity, ICI (David Vann, Swarthout, Warren Ellis, Duiker, etc)

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* Neil Young.

** C'est l'occasion de saluer la naissance d'une toute nouvelle collection chez Gallmeister : Néo (présentée par Oliver Gallmeister himself, ICI) dont l'idée semble est née lors de la publication de l'excellent Pike (souvenez, nous étions trois lecteurs, ICI) qui du coup va être réédité dans cette nouvelle collection sous le numéro 0.

Pour les "puceaux de l'horreur comme de la volupté" (comme dirait Louis-Ferdinand) : le catalogue Noire est LA, et le catalogue Nature Writing est LA.

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