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SERENDIPITY

AND THE WINNER IS ... (sur le Prix Landerneau)

12 Juin 2009, 14:20pm

Publié par Seren Dipity

Je n'aime pas les Prix Littéraires. Ca m'énerve tout ce ramdam de la rentrée, toutes ces magouilles. Combien de Goncourt j'ai lu dans ma vie? Le moins possible j'espère. Le compte tient sur une main... et encore faudrait me couper un doigt, le petit, celui qui sert à me curer le nez (je suis en train de lire La Confrérie des Mutilés, ça me contamine - pardon).
Comme Goncourt, j'aime bien le livre de Iegor Gran, Le Truoc-Nog, chez POL (j'aime les anagrammes) Un livre décapant qui se moque du prix. Ah? Il n'a pas eu le Goncourt? C'est encore mieux.

Alors pourquoi accepter de participer à un prix, me demanderez-vous, légitemement?
Parce que.
Pour voir. Peut-être même pour y semer la zizanie, façon le juré n° 8 (Henry Fonda) dans Douze Hommes en Colère...
Et parce que le prix récompense un livre de l' "autre rentrée", celle de janvier (autant de livres qu'à l'automne mais on n'en parle pas -preuve s'il en faut du cirque médiatique de septembre), que l'auteur doit en être au début de son oeuvre (sans savoir si cette oeuvre à venir existera d'ailleurs -ce que je trouve amusant) et doit avoir des qualités littéraires certaines, tout en racontant une histoire.
Vaste programme, comme disait Charles De Gaulle à propos de la mort des cons.

Le Prix Landerneau est le prix des Espaces Culturels. C'est donc lui. La bande est bleue, ça nous change du rouge.

La dernière sélection proposait six romans :

Fabienne Juhel, A l'angle du renard(Rouergue)
Béatrice Fontanel, L'Homme Barbelé (Grasset)
Simonetta Greggio, Les Mains nues (Stock)
Fabrice Humbert, L'Origine de la violence (Passage)
Jerome Ferrari, Un Dieu, un Animal (Actes Sud)
Tatiana Arfel, L'Attente du Soir(Corti)

J'ai déjà parlé ici du Juhel, du Fontanel (qui, depuis, a reçu le prix du Festival Étonnants Voyageurs) et du Humbert. Tiens, à propos d'un autre Humbert : tout ce que je vous dirais sur le Greggio c'est de lire, ou relire, Lolita de Nabokov (même thème) et d'accompagner une nouvelle fois Humbert Humbert dans cette folle traversée des Etats Unis, pour l'entendre dire, une fois encore, "I was a pentapod monster but I loved you."
Il nous reste donc le Arfel chez Corti (premier roman) et le Ferrari chez Actes Sud (cinquième livre si on compte deux premiers parus en Corse -mais vaut mieux les compter si on veut rester en vie)
Pourquoi ne pas avoir parler de ces deux là plus tôt?
Je sais pas. Je crois que je voulais garder le meilleur pour la fin, comme on dit d'un fraisier qu'on pose sur la table quand les invités en sont déjà à se demander comment perdre les kilos pris pendant le repas. Le fraisier est trop bon pour arriver à la fin, mais c'est comme ça. Faudrait peut-être aller se faire vomir avant le dessert?
Mais passons.

Tatiana Arfel a du talent. Elle créé un univers merveilleux ou le sublime (l'éloge des sens -les couleurs, les parfums) côtoie l'horreur quotidienne du vide, de l'absence, de la solitude. Trois univers, trois personnages, trois dérives, trois solitudes. Construit autour de ce trio, le roman alterne les trois voix et l'écho laissé par leur renoncement vous hante après chaque lecture. Certains vous diront que la troisième partie souffre de longueurs et de répétitions. Je n'ai pas ressenti tout ça. Alterner les points de vue est difficile mais contrairement à d'autres lecteurs dans le jury je n'ai pas trouvé les répétitions laborieuses. One step up and two steps back, comme dirait Bruce. Tatiana Arfel fait quelque chose que beaucoup d'autres ne font plus : elle créé.  Un univers de fiction où la réalité, notre réalité est loin, oubliée à travers le prisme de ces trois personnages perdus. Et c'est magnifique, tout simplement.
Voici l'ouverture du roman :

"Je suis né d'un oiseau grimpeur avec pour haie d'honneur les pattes poudrées de cinq caniches, dont un royal. j'ai plongé dans l'odeur de transpiration, de sucre d'orge et d'huile camphrée qui fut celle de ma mère le maigre temps qu'elle vécut. Un visage grimé, inquiet, flottait sans corps derrière les fumées maternelles : mon père, clown de profession, avait pour l'occasion retiré son nez rouge et cessé ses mimiques. Les larmes délayaient ses fards."

Jérome Ferrari n'est pas nihiliste, il le dit. Et son sourire est bien là pour confirmer. 
Un Dieu, Un Animal est publié, comme ses deux romans précédents, chez Actes Sud. En 110 pages, Jérome Ferrari nous éblouit par son écriture.
Voici l'ouverture magistrale du roman :

"Bien sûr, les choses tournent mal, pourtant, tu serais parti et, quand l'étreinte du monde serait devenue trop puissante, tu serais rentré chez toi. Mais ça ne s'est pas passé comme ça, car les choses tournent mal à leur manière mystérieuse et cruelle de choses et font se briser contre elles toutes les illusions de lucidité. Tu es parti, le monde ne t'a pas étreint et, quand tu es rentré, il n'y avait plus de chez toi."

Il y a beaucoup de choses dans ce début : y a du Céline (peut-on écrire "Mais ça ne s'est pas passé comme ça" au début d'un roman sans penser à Céline?), du Melville (partir chasser l'ennui -ou la baleine, ou Dieu), du Novalis ("Où allons-nous donc? Nous revenons toujours à la maison."). Ça vous pète à la figure d'entrée jeu. J'aime les ouvertures qui remuent et celle-là te prend (oui, toi) à la gorge... Respirez bien fort, on ne vous lâchera pas. Cent dix pages. Et  quand le livre vous lâche -ce n'est pas vous qui le lâchez- vous ne cherchez pas l'air, vous relisez la clausule (magnifique).

Alors qui est le winner? Vous le savez déjà (au départ cet article devrait être posté le soir même de la remise du prix) :

Jérôme Ferrari pour Un Dieu, Un Animal.
Jérôme Ferrari que l'on va bientôt retrouver ici puisqu'il a accepté de répondre à quelques questions. Nous avions bu quand il a accepté mais je pense qu'il se souviendra de sa promesse! D'ailleurs, le vin était si bon que je lui ai avoué que mon vote final n'avait pas été pour lui mais pour le Arfel. J'aime bien les outsiders.
Et j'évoquais tout à l'heure le film Douze Hommes en Colère : eh bien sachez, qu'entre les premières discussions (l'avant-vote en somme) et le résultat final, il s'est passé un truc bizarre. Après notre rencontre avec les auteurs sélectionnés, et à la suite de notre premier repas, il semblait presque évident que Fabrice Humbert allait l'emporter... C'est lors des rondes (des rounds?) de vote et de pourquoi/parce que/ah non/ah oui que les choses se sont compliquées... Moi honnêtement j'étais ravi que ce soit Arfel ou Ferrari, vraiment. Les deux, pour différentes raisons, avaient les qualités pour remporter le prix. Quand Ferrari sembla s'imposer, j'ai opté pour Arfel. Juré n°8. Outsider. Eh puis le vin était si bon, que prolonger les débats signifiait -je l'espérais- prolonger les ébats.

Alors, vous l'aurez compris, il y a bien deux livres à lire absolument. Un Dieu, un Animal et L'attente du Soir. De la preuve que le roman français se porte merveilleusement bien...
Signé Stéphane.

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