Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
SERENDIPITY

Bon hiver* : sur Retour à Little Wing de Nickolas Butler - une lecture critique de Stéphane

15 Août 2014, 08:00am

Publié par Seren Dipity

Le premier roman de la rentrée lu est une excellente surprise. Pourquoi avoir commencé par celui-là, alors que tant d'autres me faisaient encore plus envie? Je ne sais pas. Sans doute la peur d'être un peu déçu par toutes ces grandes attentes. Et peut-être une tendresse pour les barbus.

C'est aussi le premier livre que j'ai lu sur tablette. J'imagine déjà les grimaces de certains qui se la jouent puristes. Vont me parler de l'odeur du papier (qu'ils confondent avec l'odeur de la colle), de la chaleur du papier (en oubliant le bois mort et mâché), de l'objet bien calé dans les mains, etc. La tablette tient dans une main - honte à elle. L'avantage de la liseuse, c'est qu'avec elle je peux tenir ma clope dans la main droite. Et me grater la barbe.

L'énorme plus de la tablette, c'est que lorsque je tombais sur un mot inconnu, je mettais simplement le doigt dessus et là... magie, une fenêtre de bas de page s'ouvrait sur le dico Collins qui m'expliquait tout ce qu'il y a à savoir sur le mot. C'est pas beau ça? Dois-je, pour autant, jeter mon vieux Cobuild unilingue ? Naan, bien sûr. Je l'aime bien. Il a été mon compagnon de lecture pendant des années. Il pue. Il pèse une tonne. Je l'aime encore.

Mais revenons à Little Wing qui est en plus d'un excellent roman, est la meilleure cover de Hendrix par  Stevie Ray Vaughan**

Un premier roman, donc. D'un type barbu que personne ne connait encore ici. Ca va changer. Même si Nickolas Butler va sans doute rester barbu.

Ca débute comme ça:

"Nous l'invitions à tous nos mariages ; Lee était célèbre."

Ce "nous" collectif cache une bande de copains d'enfance du Wisconsin, d'un bled nommé Little Wing. Lee était l'un des gamins de Little Wing. Il l'est toujours, mais par intermittence. Lee est devenu une star de la chanson et se produit dans le monde entier.

"Des mois passaient avant qu'on le revoie, puis un jour il rentrait, hâve et barbu, les yeux fatigués mais pleins d'un soulagement heureux. Nous savions que Lee se réjouissait de nous voir, d'être à nouveau parmi nous. Nous lui donnions toujours le temps de récupérer avant de renouer, nous sentions qu'il avait besoin de décrocher et de retrouver son équilibre."

Nickolas Butler pose rapidement le cadre du roman, dès la première page. La place de Lee au coeur de Little Wing (le coeur de la couv' ?) est évidente : même absent, ses chansons et sa gloire illuminent le Wisconsin. Ce type a prouvé qu'on pouvait naître là, chanter cet état et enchanter le monde.

"Ils écrivait des chansons sur notre coin du monde : les champs de maïs à perte de vue, les forêts reboisées, les collines bossues et les vallons striés. Le froid tranchant comme une lame, les journées trop courtes, la neige, la neige, la neige. Ses chansons étaient nos hymnes - nos porte-voix, nos micros, nos poèmes de juke-box. Nous l'adorions ; nos femmes l'adoraient. Nous connaissions toutes les paroles de ses chansons, et parfois, nous y figurions."

Mais si Lee Sutton est la légende du coin, il n'est pas le seul personnage digne d'intérêt de ce très beau roman si touchant par sa justesse. Les autres personnages principaux servent de point de vue à ce récit profondément humain d'amis d'enfance confrontés à leur vie, leurs choix quand arrivent leur trentaine.

Hank, Kip, Ronny, Beth et Lee. Cinq amis, cinq visions d'une amitié qui cachent des secrets, des frustrations, des rêves. L'alternance de ces points de vue offre aux lecteurs une découverte en aller-retour.

Hank et Beth forment le couple parfait. La bonté de Hank est sans limite. C'est un bon père, un mari aimant, un travailleur émérite malgré les difficultés. C'est sans doute le personnage le plus fort de ce roman. Il est le seul qui ne soit jamais parti. Cela ne veut pas dire qu'il n'a pas des rêves d'ailleurs (la peinture). Tous ont voulu partir, pour échapper à cette petite ville*** sans avenir. Certains ont réussi, comme Ronny ancienne star du rodéo dont l'AVC a achevé la carrière et qui est coincé là, avec interdiction de boire de l'alcool et dont les tentatives de fuite ne durent jamais très longtemps. Comme Kip qui a réussi dans le monde de la finance et est revenu pour donner vie à l'ancien silo de la ville - ce silo qui abritait leurs rêves d'ados.

"Nous étions unis par le sentiment d'être différents de notre milieu et aussi peut-être par un sentiment de supériorité par rapport à l'endroit qui nous avait formés. En même temps, nous en étions épris. Epris d'être les rois d'une petite ville, perchés sur ces tours abandonnées, dominant notre avenir, en quête de quelque chose - du bonheur peut-être, de l'amour, ou de la gloire."

Le bonheur, l'amour, la gloire. Il s'agit peut-être de ça. Chacun a couru après tout ça. Ailleurs, ou ici. Le détour par l'ailleurs les ramène toujours ici.

"Cette ville exerce une espèce de gravité insensée."

Shotgun lovesongs, le titre de l'album de Lee qui a définitivement lancé cette "mythologie" est aussi le titre original du roman de Butler. Cet album est né dans et de l'hiver du Wisconsin.

Quant au sens de ce Shotgun lovesongs, c'est dans ce formidable roman que vous le trouverez. Au milieu de mariages, de coups de feux, d'échecs et de succès. Pas une révolution romanesque mais la révélation d'un auteur à l'écoute des gens et des lieux qui l'entourent. Cette galerie chaleureuse (malgré l'hiver permanent) et poignante vous accompagne bien au-delà du roman. 

 

Signé Stéphane

Retour à Little Wing (Shotgun Lovesongs), traduit par Mireille Vignol.

____________ 

* Le roman évoque l'amitié de l'auteur avec un musicien du Wisconsin, Justin Vernon, plus connu sous le nom de son groupe : Bon Iver (dont le nom vient de "bon hiver")

** ICI. 

*** Ecoutez le témoignage de John Mellencamp, ICI, un sérieux concurrent de Springsteen, venant d'un petit bled de l'Indiana. Il y a une certaine mythologie des small towns.

Commenter cet article
J
Bonjour,<br /> J'ai beaucoup aimé votre article comme j'ai aimé ce roman. J'ai fait un lien vers celui-ci sur mon blog. Bonne continuation et bonne lecture
Répondre