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SERENDIPITY

Sex & drugs & rock'n'roll* : sur Vernon Subutex (tome 1) de Virginie Despentes - une lecture critique de Stéphane

8 Février 2015, 16:30pm

Publié par Seren Dipity

Un roman de Despentes sur un ancien disquaire... Voilà qui semblait excitant! Et ça l'est! Ca l'est foutrement bien!

Ca débute comme ça :

"Les fenêtres de l'immeuble d'en face sont déjà éclairées."

Vernon Subutex, dont le nom est déjà tout un programme, est un ancien disquaire qui survit tout juste au moment où commence le roman. S'il n'est pas encore SDF, il a déjà un pied dans la rue. Il a connu une sorte de gloire liée à un métier qui dans les années 80 faisait encore rêver les gamins. Je le sais, j'étais l'un de ceux-là! Si vous avez lié une amitié avec un ou deux disquaires à force d'achats et d'heures de discussions passionnées à découvrir des disques, vous comprendrez**. Sinon, forcé-ment, y a une certaine mythologie que l'on croise ici qui vous échappera complètement. Faites le test : parlez du livre avec une personne pas encore trentenaire, vous verrez...

Vernon va mal. "Il se sent comme un vieux feu, dont les braises se réveilleraient parfois sous un coup de vent, mais jamais suffisamment pour embraser le petit bois. Un foyer agonisant." 

A la mort de son ami Alex Bleach, devenue star d'une musique pop facile, qui finançait la survie de Vernon, il plonge.

"Depuis Zadig et Voltaire, la mouise a perdu son aura poétique - alors que pendant des décennies elle venait valider l'artiste, le vrai, celui qui a préféré ne pas vendre son âme. Aujourd'hui, c'est mort aux vaincus, même dans le rock." ***

Vernon Subutex n'est pas mort. Le rock non plus. Mais ils ont vieilli... Personnage fascinant que Virgine Despentes va, on l'imagine, creuser encore dans les deux volumes à paraître. "Vernon est resté bloqué au siècle, quand on se donnait encore la peine de prétendre qu'être était plus important qu'avoir."

Comme disait Céline, "Le siècle dernier, je peux en parler, je l'ai vu finir."

Les déambulations de Vernon sont l'occasion d'une sacrée tournée des anciennes connaissances, des personnes croisées à l'époque du groupe et du magasin, ou encore de parfaits inconnus au parcours parfois aussi chaotiques que celui de Subutex. 

Que reste-t-il de cette époque? Que sont devenus les rêves des rockers dans l'âme? Au gré des rencontres que fait Vernon, Virginie Despentes dresse un tableau saisissant de la société d'aujourd'hui... L'embourgeoisement, la tentation des extrêmes, l'hédonisme effréné, les addictions, la représentation médiatique, la déferlante du numérique ("l'infobésité"), le féminisme de la fin du vingtième.**** Tout y passe et  la moulinette Despentes fait des merveilles avec tout ce qu'elle broie. Brillante dans les dialogues, virtuose dans la manière d'épingler nos angoisses, nos travers, nos incohérences, nos frustrations ou tout simplement nos trajectoires elle déploie une galerie impressionnante de personnages de tous les horizons qu'elle observe in situ, souvent sans prendre parti, simplement en constatant l'état des choses et des personnes.

La langue est alerte, l'oeil cruel et juste, le résultat est réellement impressionnant.

"Emilie est devenue la fille qui n'a pas de copain à présenter, la meuf gentiment larguée qui vient toujours seule aux soirées du boulot, celle qui a plein de copines parce qu'elle est rassurante, d'être à ce point de la lose. Maintenant, c'est fait, elle ne recommencera pas sa jeunesse et c'est comme ça qu'elle aura passée, à attendre qu'un connard l'appelle ou ne l'appelle pas, mente à sa femme pour passer la voir, fasse d'elle sa meuf clando et qu'elle soit incapable d'arrêter l'engrenage et passer à autre chose, elle ne sait pas quoi faire de la peine que ça lui inspire."

Utilisant la dynamique du roman picaresque et lorgnant du côté du roman policier, le roman est aussi social et parfois poétique. Il est, en tout cas, d'une efficacité redoutable et offre un plaisir de lecture qui ne faiblit pas.

L'année 2015 commence vraiment, vraiment bien.

Virginie Despentes, 45 ans :

"Passé quarante ans

tout le monde ressemble

à une ville bombardée."

 

Signé Stéphane

_______________

* Ian Dury & the Blockheads !

** Bruno et Olivier, si vous me lisez les gars, je vous remercie encore infiniment pour les découvertes! Vous avez contribué à changer ma vie en l'enrichissant (et en vous enrichissant !- Bruno surtout, aujourd'hui cadre chez Sony, qui compensait ses prix parfois indécents par des pirates ramenés de Londres et sortis de dessous le comptoir...)

*** Ca rappellera peut-être la pensée de Halpern (joué par Yvan Attal) dans Un Monde sans pitié, regrettant que les filles n'aiment même plus les nuls...

**** "J'étais disquaire, avant. Il y a longtemps.

- Ah ouais? le vynile et l'argentique - toi et moi on est des rescapés d'industrie englouties, alors."

"Elles ne resteront pas jeunes longtemps, et elles ont le seul âge où la chaudasserie vient sans sa dose de pathos."

"T'es trop sensible. Les mecs violents, vous êtes des grands sensibles.

- C'est une réflexion de meuf, ça.

- On savait pas qu'on allait se planter à ce point, hein?

- Si on avait su, qu'est-ce qu'on aurait changé?"

"Les choses ont changé. A notre époque, si on aimait faire chier le monde, on faisait du X, mais aujourd'hui porter le voile suffit."

"Les jeunes meufs la dépriment souvent, avec leur look de mormones ou leur voile à la con. Quand c'est pas la religion c'est la famille, ou comment arriver vierge au mariage... le niveau zéro du romanesque. On dirait qu'elles vont consacrer leur vie à faire des ragoûts et des tartes aux pommes."

 

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